Pourquoi les Van Gogh perdent leur jaune

Difficile d’imaginer les peintures de Van Gogh sans ces jaunes vibrants, immortalisés dans plusieurs de ses tableaux dont les emblématiques Tournesols. Pourtant, depuis plus de 100 ans, ces derniers se dégradent lentement: ils brunissent, sans que les experts en connaissent précisément la raison. Une équipe internationale vient de résoudre partiellement le mystère en pointant du doigt la réaction chimique complexe à l’origine du phénomène. Publiés lundi dernier dans le journal Analytical Chemistry, les travaux en question suggèrent que la technique utilisée par le maître néerlandais pour rendre ses jaunes plus lumineux serait responsable de leur assombrissement.

L’utilisation de couleurs vives par Van Gogh est un tournant dans l’histoire de l’art: c’était pour lui un moyen d’évoquer des humeurs et des émotions, plutôt que d’utiliser ces couleurs de manière réaliste. Cette expression de l’artiste n’aurait pu être possible sans les innovations majeures intervenues au XIXe siècle dans la fabrication industrielle des pigments et se traduisant à la fin de cette période par la prédominance du jaune de chrome, un chromate de plomb plus éclatant que les autres jaunes disponibles.

Or dès ses premières utilisations, les peintres se sont rendu compte que cette couleur vieillissait mal: sous l’effet des rayons solaires ou mélangée à du bleu de Prusse par exemple, elle brunit. Ce changement d’aspect est corrélé à une modification de l’état chimique du chrome qui, durant l’opération, gagne trois électrons, en d’autres termes «est réduit».

Tous les tableaux de Van Gogh ne sont pas affectés de la même façon, ni à la même vitesse. «Il existe aujourd’hui six versions différentes des Tournesols, exposées à plusieurs endroits, observe Ella Hendriks, conservatrice au Musée Van Gogh d’Amsterdam. Elles sont gardées à l’abri des rayons ultraviolets et placées sous atmosphère contrôlée. Malgré ces précautions, toutes s’assombrissent visuellement, mais pas de façon uniforme.»

Pour identifier le processus incriminé dans le brunissement et comprendre la raison de sa frappe apparemment aléatoire, les scientifiques ont procédé en deux étapes. Ils ont tout d’abord étudié le vieillissement accéléré de restes de jaune de chrome issus de trois tubes ayant appartenu à des peintres de l’époque. Après avoir émis des hypothèses sur les conditions nécessaires à la réduction du chrome, les chercheurs ont ensuite confronté ces dernières à l’examen d’échantillons provenant de deux huiles peintes par le maître hollandais: Vue sur Arles avec iris (1888) et Berges de la Seine (1887).


Pour en savoir davantage : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/6d4af37a-3ba8-11e0-b1dd-e624b6b586e0